Solidarité communautaire en temps de crise

Hector Addison sait à quel point les racines sont importantes. Né au Ghana, il y a décroché son diplôme universitaire il y a une vingtaine d'années. Depuis ce temps, sa femme et lui ont déménagé pour étudier ou travailler à Athènes, en Ohio; dans les Appalaches de la Virginie-Occidentale; à Mississauga et ensuite à Ottawa. Chacun de leurs trois enfants est né dans une ville différente.

Une fois la famille installée à Ottawa, la femme d'Hector le prévient que c'est pour elle sa destination finale. Quand il décroche un emploi stable et voit que ses enfants se sont bien adaptés à leur nouvelle école, Hector en profite pour mettre sur pied un projet en vue de combler un manque dans sa vie : une association communautaire qui servirait d'ancrage pour des personnes qui, comme lui, ont passé une partie de leur vie sur plusieurs continents, qui s'efforcent de se sentir chez elles loin de leur pays natal. Il devient donc le cofondateur de l'African-Canadian Association of Ottawa (ACAO), un groupe de coordination qui réunit les membres de 53 organisations culturelles d'ascendance africaine dans la région de la capitale nationale. À ce titre, Hector se rend vite compte que sa communauté risque d'être frappée de plein fouet par la pandémie de COVID-19.

Selon une étude menée en 2020, la pandémie de COVID-19 a des répercussions disproportionnées sur la santé et la situation financière des personnes noires du Canada. L'étude a été réalisée en juin par l'African-Canadian Civic Engagement Council d'Edmonton et l'Innovative Research Group. Parmi les personnes noires qui ont participé à cette étude, 56 % ont dit que leur emploi, ou l'emploi d'une personne de leur entourage, a été touché, alors que la moyenne nationale est de 46 %.

L'étude a aussi démontré que les personnes noires du Canada « sont plus susceptibles d'avoir l'impression que leur routine quotidienne augmente de manière inquiétante leur risque de contracter le virus peu importe les mesures qu'elles prennent pour se protéger ». Elle vient confirmer que, parmi les personnes noires du Canada ayant participé à l'étude, bon nombre occupent des emplois de première ligne, par exemple comme caissiers, préposées aux bénéficiaires, infirmiers ou conductrices. Non seulement ces emplois exigent des contacts quotidiens avec d'autres personnes, mais ils sont aussi occupés par des personnes qui utilisent les transports en commun pour se rendre au travail durant la pandémie. Par conséquent, les personnes noires courent plus de risques d'être infectées, et on peut aussi y voir une preuve que des formes de racisme systémique et structurel sont bien ancrées dans notre société.

Avant même que le gouvernement fédéral commence à annoncer des programmes d'aide financière pour la population canadienne au printemps dernier, Hector et son organisation étaient déjà en train de préparer des boîtes de denrées et de produits essentiels à distribuer à tout membre de la communauté en situation précaire. Les boîtes contiennent assez de nourriture, d'équipement de protection individuelle et d'articles ménagers pour combler les besoins d'une personne pendant environ un mois. La communauté se mobilise : des personnes font des dons, tandis que d'autres se portent volontaires pour faire des achats, remplir les boîtes ou faire des livraisons particulières, comme les médicaments destinés à des personnes âgées. Toute personne noire de la région de la capitale nationale peut demander cette boîte. L'ACAO a reçu des fonds limités du gouvernement fédéral par l'entremise de la Croix-Rouge, et cette organisation a aussi aidé à distribuer les boîtes de denrées à plus ou moins 175 familles.

Hector se rend vite compte que sa communauté risque d'être frappée de plein fouet par la pandémie de COVID-19.

Cependant, Hector sait aussi que les gens n'ont pas que des besoins matériels. Beaucoup de personnes qui téléphonent pour une boîte ont juste besoin de parler à quelqu'un. Hector comprend bien ce besoin. Depuis qu'il a survécu à un accident de voiture en 2018, il souffre d'une commotion cérébrale et d'épisodes dépressifs. Quand il a constaté que des personnes passaient entre les mailles du filet social, il a décidé d'organiser, à l'intention de toute la communauté, des ateliers en ligne sur des sujets allant de la santé mentale à la gestion du budget familial.

« Je fais de mon mieux », dit Shirley, qui préfère témoigner sous un nom d'emprunt, « et je n'ai pas l'habitude de me plaindre. » Partie de Trinité-et-Tobago pour immigrer au Canada il y a 25 ans, elle admet que la pandémie lui cause beaucoup de problèmes et que les boîtes de l'ACAO représentent pour elle une aide précieuse.

Toute personne noire de la région de la capitale nationale peut demander cette boîte.

Shirley a travaillé comme préposée aux bénéficiaires à Ottawa jusqu'à ce que l'arthrite et une blessure l'obligent à prendre sa retraite. Vivant seule dans un appartement au deuxième étage, elle a besoin du service de transport adapté pour faire ses courses. Avant la pandémie, elle avait déjà de la difficulté à prendre place avec son déambulateur dans l'espace restreint de la fourgonnette, en raison de son physique imposant — elle mesure six pieds — et de ses articulations raidies par la maladie; elle se demande comment elle pourrait y arriver maintenant en respectant les règles de distanciation physique.

Ses filles lui téléphonent tous les jours, mais elle ne veut pas qu'elles se sentent responsables d'elle. Même si sa foi l'aide à rester forte, elle est consciente de sa vulnérabilité du fait qu'elle n'a plus de revenus d'emploi ni de possibilité de faire son épicerie.

Hector sait qu'il y a dans la ville d'Ottawa beaucoup de Shirley — chacune ayant sa propre histoire. Il s'est donné la mission de les aider jusqu'à la fin de la pandémie.

Les femmes racisées travaillant à temps plein toute l'année gagnent en moyenne 33 % de moins que leurs homologues masculins non racisés, soit 67 ¢ pour chaque 1 $.

1 sur 3 Une personne sur trois au pays (32 %) pense qu'il est exagéré de parler de racisme systémique au Canada.

56 % des personnes noires du Canada qui ont participé au sondage ont déclaré que la COVID19 avait eu des répercussions sur leur emploi ou celui d'un membre de leur ménage

Au Canada, les jeunes de 18 à 34 ans forment le groupe de personnes (62 %) qui est le plus préoccupé par le racisme dans leur province.

En cette ère de COVID-19, les personnes noires du Canada s'inquiètent davantage (45 %) que les autres Canadiens quant à leur capacité de payer leur loyer.

Fondation canadienne des femmes; Sondage Ipsos 2020 (en anglais); Association d'études canadiennes et la Fondation canadienne des relations raciales : Capturer le pouls de la nation; African-Canadian Civic Engagement Council et Innovative Research Group : Impact of COVID-19: Black Canadian Perspectives (en anglais).